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23/09/2010

Philippe Claudel 1a

Bloc-Notes, 23 septembre / Les Saules

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Un des thèmes majeurs de l'oeuvre de Philippe Claudel, repose sur la conscience de l'individu confronté à celle de la société, habile à le blesser, le broyer, le détruire. Il nous l'a brillamment démontré avec Les âmes grises et, plus récemment, avec Le rapport de Brodeck. Il en va de même pour L'enquête, sauf que l'auteur n'interroge plus le passé - les horreurs des guerres de 14-18 et 39-45 - mais le monde d'aujourd'hui ou, pour les plus optimistes, celui d'un futur proche.

Dès les premières lignes de ce roman exceptionnel, on songe à Franz Kafka et son court texte intitulé Devant la loi: Un homme est envoyé dans une ville inconnue - par qui, nous ne le saurons jamais - afin d'enquêter au sein d'une Entreprise sur une vague de suicides inexpliqués. A peine parvenu à destination, il réalise que tout concourt à l'empêcher de mener à bien sa mission. Aucun interlocuteur ne répond à ses questions, tantôt le menaçant, tantôt lui prodiguant une sympathie déconcertante. Les lieux eux-mêmes lui semblent inquiétants, hostiles ou irréels.  

Toute la ville paraissait se résumer dans l'Entreprise, comme si celle-ci, peu à peu, dans un processus d'expansion que rien n'avait pu freiner, s'était étendue au-delà de ses limites premières, avalant ses périphéries, les digérant, les assimilant en leur instillant sa propre identité. Il se dégageait de tout cela une force mystérieuse qui donna un bref vertige à l'Enquêteur. Lui qui depuis très longtemps avait conscience que sa place dans le monde et la société relevait de l'échelle microscopique découvrait, face à ce paysage de la démesure de l'Entreprise, une autre forme de malaise, celui de son anonymat. En plus de savoir qu'il n'était rien, il se rendait compte soudain qu'il n'était personne.

Avec la désagréable impression d'être constamment épié par des yeux invisibles, d'être transparent pour tous ceux qu'il côtoie, en proie à des cauchemars dont il se demande s'ils sont le fruit de son imagination ou le reflet de la réalité, notre Enquêteur va, avec l'énergie du désespoir, s'obstiner à vouloir lever le voile de cette pieuvre qui absorbe tout - jusqu'aux âmes - et le fait ressembler à une souris de laboratoire qui s'égare de plus en plus loin - jusqu'à la perte de son identité - dans un monde qui l'écrase. Notre monde? Il n'est plus temps de descendre dans les rues et de couper la tête aux rois. Il n'y a plus de rois depuis bien longtemps. Les monarques aujourd'hui n'ont plus ni tête ni visage.

Voyage au coeur de l'absurde, de l'aliénation et du doute, cette histoire se lit comme une fable cruelle et terrifiante sur l'individu incapable désormais de tirer la moindre des ficelles à son avantage, à force de ne plus chercher un sens à sa vie, de n'oser dire non à l'intolérable, à l'humiliation, à l'indifférence, devenu un robot à la voix synthétique tel celui que nous entendons chaque matin dans les autobus, les gares ou les aéroports.

On l'aime bien, cet Enquêteur pourtant ordinaire, mais consciencieux, honnête. On s'accroche à lui, seul contre tous semble-t-il capable encore d'éprouver de la compassion ou un sursaut de révolte malgré tous les obstacles qui lui sont tendus, soucieux d'accomplir sa mission: Son unique raison de vivre. Mais pour lui aussi, n'est-il pas déjà trop tard? Avez-vous conscience que vous ne parlez que par fonction depuis le début de notre entretien? Vous êtes l'Enquêteur, vous évoquez le Policier, le Guide, le Veilleur, le Serveur, le Garde, le Responsable, le Vigile, le Fondateur. Vous n'employez jamais de noms propres, ni pour vous, ni pour les autres. (...) Vous déniez toute humanité, en vous et autour de vous. Vous regardez les hommes et le monde comme un système impersonnel et asexué de fonctions, de rouages, un grand mécanisme sans intelligence...

Un dernier personnage, l'Ombre, délivrera la clef à notre homme, mais à quel prix? Chapitre manquant au meilleur des mondes possibles, ce livre à peine refermé, on s'interroge: Avons-nous traversé un mauvais rêve ou nos pieds foulent-ils les eaux immobiles d'une réalité qui nous colle à la peau et se révèle à nous dans toute sa monstruosité? Certains chapitres, dont celui consacré aux Déplacés, ne laissent planer aucun doute... 

Philippe Claudel, L'enquête (Stock, 2010)

00:15 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Franz Kafka, Littérature francophone, Philippe Claudel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/07/2010

In memoriam

Bloc-Notes, 13 juillet / Les Saules

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Peu de jeunes lecteurs savent qui était Henri-François Rey, disparu en 1987 à l'âge de 67 ans. Pourtant, de son oeuvre assez inégale, il faut bien le dire, il est triste que La fête espagnole - Prix des Deux Magots 1959 - Les pianos mécaniques - Prix Interralié 1962 - ou encore Les chevaux masqués ne soient plus disponibles, parmi une quinzaine d'autres titres ayant subi le même sort.

Par bonheur, il subsiste encore un roman dans les librairies - un seul! - à mon sens le chef d'oeuvre de son auteur, écrit en 1960 et intitulé La comédie. Il nous raconte l'histoire de Franck, un alcoolique qui, de bar en bar recherche dans l'ivresse l'oubli de ses angoisses, de sa désespérance, de son vide intérieur. Un jour, il rencontre Kim, dont le regard cristallise en lui un possible attachement, peut-être plus durable que les autres. Pourtant, même avec elle, c'est la dérive continuelle, l'abime tout proche qui le précipite en cure de désintoxication. Guéri en apparence, il entreprend un voyage en Espagne où la fête anéantira ses efforts, le replongera dans un univers où, malgré les efforts de Kim, ses humeurs noires et autodestructrices noyées dans l'alcool lui apporteront la paix, définitivement.

Ce récit nous réserve des pages magnifiques, terribles ou bouleversantes sur le mal de Franck: Enfin je sais de quoi je souffre et de quoi je crève. Enfin je suis sûr de moi.C'est encore sournois, mais je sais que quelque chose s'est installé en moi qui va me détruire. Un oiseau a fait son nid à l'intérieur de moi-même. (...) J'ai l'impression de descendre un immense escalier, toujours plus bas, toujours plus profond, encore des marches. En bas, j'entre dans une pièce, il fait bon, il y a une odeur de géranium. Les portes se ferment derrière moi. Je suis tranquille, je suis à l'abri. Je suis sauvé.

L'une de ses dernières crises est décrite avec une lucidité implacable: Ca tremblait devant ses yeux, c'était flou, la table et le bout du lit, et les vêtements sur la chaise de paille. Des petites lueurs comme des cristaux qui dansaient et le narguaient. Des mouches de glace qui se poursuivaient et, derrière, des visages qui se déformaient très vite et devenaient hideux, de la gélatine poisseuse qui coulait. Et les masques défilaient, le regardant, l'épiant. Mais les plus atroces étaient ceux qui détournaient les yeux et faisaient semblant de ne pas le voir.

De cette descente aux enfers subsiste cet écrit poignant auquel un autre - non moins célèbre - fait écho: Le repos du guerrier de Christiane Rochefort, inspiré sans doute de sa relation avec un certain Henri-François Rey...

Henri-François Rey, La comédie (Robert Laffont, 1960)

Christiane Rochefort, Le repos du guerrier (coll.Livre de poche, 1992)

 

 

00:44 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, In memoriam, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/12/2009

Barbara Fournier

Barbara Fournier.jpgBarbara Fournier, L'étreinte (Edimento, 2009)

 

La littérature et l’édition suisses savent parfois demeurer créatifs, comme en témoigne ce récit illustré avec beaucoup de finesse par Tatiana Chhirikova, qui nous conte la passion de Marina pour le séduisant Oleg, en dépit de son mari parti se battre en Crimée. Dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler Tchekhov ou Tolstoï – maintes fois cités par Marina au cours de ses lectures – située au début du XXe siècle, nous suivons cette belle histoire d'amour, à la fois intimiste et respirant la fraîcheur des grands espaces, quête d'un absolu bien éloigné – hélas – des perceptions de notre temps, si peu disposé aux élans déraisonnables… Un magnifique portrait de femme amoureuse qui s’expose dans toute sa fragilité, mais avec une force de vie qui n’en révèle que davantage sa singularité.

 

Son auteur, Barbara Fournier, passionnée par la culture russe – on s’en serait douté ! – signe avec L’étreinte son premier roman.     

23:53 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/12/2009

Sacha Sperling

Bloc-Notes, 13 décembre / Cologny

littérature; roman; livres  

Il arrive qu’on se plante complètement dans nos découvertes littéraires, comme dans celles de la vraie vie. Par souci de l’urgence, parfois. Par manque d’ouverture d’esprit, la plupart du temps. Prenez par exemple Mes illusions donnent sur la cour de Sacha Sperling, paru en août. Un extrait du 4e de couverture peu engageant – en ce qui me concerne – avec ces mots : « Ce matin, on a braqué le minibar… » J’ai renoncé et relégué ce texte aux oubliettes sans le moindre remord, un de plus parmi les quelques 660 romans de la rentrée littéraire annoncée. Non sans que j'ajoute, sur un ton désabusé : Encore un texte dans l’air du temps, probablement complaisant en diable, mal écrit, farci de clichés ou de trucs littéraires détestables. Bref, très tendance française.

 

Or, samedi 5 décembre, dans les colonnes du journal « 24 Heures », le magnifique article de Jean-Louis Kuffer consacré à ce livre m’a interpellé et stimulé ma curiosité, en cette période où les nouvelles parutions se font plus rares. Je l’ai donc lu, en deux jours ( !) et ne taris plus depuis lors d’éloges sur cet auteur âgé de 18 ans à peine. Son style fluide, concis, dépourvu de pathos, transpire d’une étonnante maturité pour un premier roman. Son portrait d’une jeunesse qui, bien plus que de mal être, se radicalise devant l’ennui, le vide intérieur et l’urgence de vivre, adopte un angle de vue original, contemporain, lucide sur son époque. Pied de nez aux conventions du genre, il est sacré, finalement – mea culpa ! – l’un des meilleurs livres francophones de l’année. Avec d’autres hasards de calendrier, il aurait largement mérité un prix littéraire. Tiens, le Goncourt des Lycéens, par exemple!

 

On songe aux vers de Paul Verlaine : « Avide jeunesse à tout a servi, par délicatesse j’ai menti ma vie… »

 

Sacha Sperling, Mes illusions donnent sur la cour (Fayard, 2009)

11:51 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/02/2008

Katherine Pancol

9782226182319.gifKatherine Pancol, La valse lente des tortues (Albin Michel, 2008)

 

Vous éprouvez un moment de découragement, votre quotidien est gris, votre avenir professionnel inconsistant, vos relations personnelles banales ou ternes ? Alors, n’hésitez pas une seconde : Lisez La valse lente des tortues, une lecture tonique, généreuse, bouillonnante qui fait du bien au moral ! Vous y retrouverez la libre, timide et attachante Joséphine de Les yeux jaunes des crocodiles (chez le même éditeur) qui a quitté Courbevoie pour Passy après le succès de son livre, observatrice et témoin de ses nouveaux voisins, attentive à ce grand amour qui s’obstine à demeurer absent. Ce roman n’est pas seulement la suite du précédent, car Katherine Pancol s’amuse avec ses personnages – et ses lecteurs ! – et ne nous ménage pas les surprises : Du bonheur progressif de Joséphine au destin désespéré de sa sœur Iris, de sa fille Zoé qui connaît les premiers émois amoureux à Hortense – l’aînée – qui ambitionne une carrière de styliste à Londres, cette histoire est aussi parsemée de … meurtres (mais oui !) avec des séducteurs redoutables ou des personnages austères aux comportements trompeurs. Même le surnaturel, avec Junior, le fils de Marcel et de Josiane, fait une brève incursion dans le récit. Bref, dans cette comédie humaine aux chemins de traverse proches de la vraie vie, vous ne vous ennuierez pas une seconde et attendrez impatiemment … la suite !

22:18 Écrit par Claude Amstutz dans Katherine Pancol, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/05/2006

Katherine Pancol

Katherine Pancol.jpgKatherine Pancol, Vu de l'extérieur (Coll. Points/Seuil, 1994)

Ce roman est peut-être le plus achevé de Katherine Pancol. Grave et drôle à la fois, c’est sans doute aussi le plus douloureux, mais le personnage de Doudou – son plus beau personnage féminin – est inoubliable. Toute l'ombre et la lumière de la nature féminine s'y extériorise avec bonheur: Sa relation aux autres, son identité, sa condition. Son besoin de rire, d'aimer et de (se) comprendre. Sa solitude, aussi. Une gravité émouvante sert de fil conducteur à une histoire qui ne manquera pas de surprendre. A prendre absolument dans ses bagages, sur une île déserte!

22:35 Écrit par Claude Amstutz dans Katherine Pancol, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

06/03/2006

Katherine Pancol

9782226169983.gifKatherine Pancol, Les yeux jaunes des crocodiles (Albin Michel, 2006)

Fresque sociale autant que roman familial, le dernier et passionnant roman de Katherine Pancol se lit d'une traite. Il raconte l'histoire de deux soeurs que tout sépare - la beauté, l'aisance, la richesse - et dont le destin bascule autour de l’écriture d’un livre et du cortège de mensonges, de tromperies et de jalousies qui s’en suivront. Qui de Joséphine, cultivée mais qui vit - plutôt mal - en banlieue avec deux enfants et un mari au chômage et Iris soucieuse de son image sociale, de sa nécessaire victoire sur l'ennui, est donc la plus fragile? La première écrit alors que l’autre signe de son propre nom l’ouvrage. Caractérisée par un style vif presque acéré, cette histoire met une fois encore en évidence l'un des thèmes récurrents de l'auteur: la confrontation entre mère et fille. Une réussite!

22:06 Écrit par Claude Amstutz dans Katherine Pancol, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |